Et donc, quel est votre vrai métier ?

S’auto-financer avec ses fonds propres (sans financement participatif, donc) implique d’avoir de nombreux autres métiers que ceux cités sur la page précédente qui me coûtent de l’argent au lieu d’en rapporter. Ma spécialité, c’est la traduction de l’anglais au français. J’ai commencé à travailler dans la traduction il y a plus de 20 ans tout d’abord pour les magazines des défuntes éditions Future France (Computer Arts, .net pro, etc.), puis pour diverses sociétés de traductions, et il s’agissait d’un travail très bien payé. Les sociétés de traductions (fondées par des traducteurs plus malins que les autres, qui arrivaient à se placer comme intermédiaires entre les marques et les traducteurs indépendants) étaient naturellement celles qui payaient le moins bien, mais la paie n’était pas trop mal pour l’époque. Plus de 20 ans plus tard, les tarifs des traducteurs pour ces mêmes sociétés de traduction ont baissé au lieu d’augmenter, tandis que les charges sociales et le coût de la vie augmentaient de plus en plus. Il y aurait beaucoup à dire sur ces intermédiaires, mais ça reste un peu hors-sujet, et concerne surtout les traducteurs et prestataires de services. J’y ai consacré une autre section que je mettrai à jour séparément. C’est par ici.

Au cours de mes dernières années de traduction, quand je divisais mes revenus par 12 en fin d’année, après avoir déduit les charges, les frais et la taxe professionnelle (sans compter l’éventuelle assurance qui compense la perte de revenus en cas d’accident avec immobilisation temporaire, la Sécurité sociale n’attribuant à l’époque aucune indemnité journalière aux cotisants indépendants), je tombais soit sur une somme inférieure au SMIC, soit sur une somme légèrement supérieure. J’en ai eu assez d’être sous-payé par des sociétés de traduction qui nous traitent quand même un peu comme des merdes, et je me suis remis à chercher des petits boulots salariés qui rapportent le SMIC. Dans le langage du Président Macron, je crois qu’on appelle ça traverser la rue

Actuellement, votre future vedette de la BD fait donc de la mise en rayon, des inventaires et des démonstrations en grandes surfaces, monte et démonte des stands d’animation, distribue des prospectus dans vos boîtes aux lettres, et remplace des affiches dans les toilettes des bars et restaurants. En cumulant ces métiers pour le moins ingrats, et qui ne demandent aucune connaissance particulière, je gagne plus d’argent à l’année qu’en traduisant de l’anglais technique pour des sociétés intermédiaires, tout cela en bénéficiant des avantages sociaux relatifs au salariat (dont une mutuelle prise en charge pour moitié par le patron de mon activité salariée principale). Et cette fois, si j’ai un accident grave avec immobilisation temporaire entrainant un congé maladie, la Sécurité sociale me versera des indemnités journalières, ce qui n’est quand même pas négligeable…

Enfin, ça, c’est quand on n’est pas en période de pandémie… À l’heure où j’écris ces lignes, le COVID 19 s’est transformé en menace mondiale, on a tous été confinés entre le 17 mars, et le 11 mai, on n’a toujours pas de vaccin, et un petit problème de crise économique. L’été se termine, et un nouveau confinement, en automne, au moins partiel, est pratiquement certain.

Parmi tous mes employeurs, seule ma boîte de distribution de prospectus a pu m’assurer une continuité de revenus pendant le confinement, parce que j’avais signé chez eux un CDI, mais ce CDI n’était qu’un contrat de 16 heures qui me permettait de compléter mes revenus avec ceux de mes autres employeurs pour des missions ponctuelles, toutes annulées à cause de la pandémie. J’ai profité du confinement pour travailler sur différents projets qui ne rapportent rien pour le moment (rien n’est signé, donc je ne peux pas en parler), en attendant de pouvoir mettre le nez dehors pour pratiquer mes vrais métiers et redresser mon économie personnelle.

Pour le moment, ça va encore, mais l’avenir risque de ne pas être facile, parce que tous les secteurs dans lesquels je travaille sont actuellement touchés par la crise économique. Personne ne parle de licenciement économique (pour le moment, on en est à l’attribution d’aides de l’État aux secteurs en difficulté, aides dont le montant est progressivement réduit), mais on va y venir. Pas de mission d’animation pour le moment. Les marques vont certainement nous créer des masques “publicitaires”, mais il y aura progressivement de moins en moins de clients dans les grandes surfaces, et par extension, moins de démonstrateurs et d’animateurs. En revanche, les marques continuent de se battre pour avoir une bonne place dans les rayons et je multiplie les boulots de merchandising (je n’en ai jamais eu autant qu’après le confinement). Pour le changement d’affiches et la distribution de prospectus, ça risque d’être un peu plus délicat. Les secteurs de la publicité et de l’imprimerie seront touchés par la crise, et se retrouveront progressivement obligés de muter vers le numérique, donc il y aura de moins en moins de travail de distribution et d’affichage. Et il y aura de moins en moins d’établissements à afficher, à cause des fermetures en série qui auront lieu un peu après les réouvertures. Mais ça continue quand même. À l’heure où j’écris ces lignes, les bars et restaurants sont de nouveau ouverts, donc j’ai pu également reprendre mes activités de “changeur d’affiche des toilettes”. Les campagnes publicitaires sont encore à l’ordre du jour. On a moins d’établissements, mais il y a quand même du boulot, et personne n’a l’air prêt à investir dans des panneaux à affichage digital. Bon pour moi, donc. En revanche, tous ces établissements font le plus gros de leur chiffre d’affaire en été, et l’été 2020 va être déterminant pour eux.

Ma boîte de distribution de prospectus a également repris ses activités, et j’ai bien l’intention de conserver mon CDI en prévision des prochains confinements, même si j’ai été obligé de le baisser à 10 heures à cause de la recrudescences de mes autres activités (qui sont quand même mieux payées…). Conserver ce CDI ne sera d’ailleurs pas très difficile, ma boîte étant symptomatique des mois à venir : le personnel de distribution était pour moitié constitué par des plus de 65 ans et des personnes dont une exposition au virus pourrait avoir des conséquences graves, et l’État a choisi de les maintenir en chômage partiel pour le moment. Donc, actuellement, l’entreprise doit renouveler la moitié de son personnel, tout en maintenant les paiements de l’autre moitié au chômage partiel en utilisant des aides de l’État dont le montant a commencé à baisser à partir de juin… et trouver des moyens de récupérer les 20% de salaire qu’elle a déboursé pour tout le monde pendant le confinement. A mon avis, les premiers licenciements économiques ne sont plus très loin.

Bref, niveau boulot, tout repart comme avant, voire mieux qu’avant dans certains cas, pour un délai limité. Dans mes différentes spécialités, on est en pleine euphorie du déconfinement, et on a tous du boulot, même si on se regarde un peu bizarrement avec nos masques, en se disant bonjour de loin. Pour le moment, les marques s’activent pour compenser les pertes, et les clients avisés vont commencer à se douter qu’il faut acheter maintenant, pendant que l’augmentation des prix reste progressive (par opposition à “spectaculaire”). Avant le prochain confinement, on va vivre dans l’illusion pendant quelques mois, puis se retrouver en pleine déconfiture, quand l’euphorie va retomber, et que tous les prix vont augmenter brusquement sans que personne ne comprenne comment.

Au niveau de la BD, les festivals, qui constituaient ma principale source de revenus et de promotion pour Rage, avaient tous étés reportés ou annulés, et les libraires, qui contribuaient à organiser la plupart d’entre eux, vont être amenées à réduire leurs activités, voire à fermer boutique. Les éditeurs sont probablement contents de leur chiffre de vente par correspondance, mais ils pourraient déchanter quand ils recevront une trop grande quantité d’invendus provenant d’un trop grand nombre de libraires à la fois (qui viendront s’ajouter aux factures des livres encore impayés, sinon ce serait pas marrant…). Donc, ce n’est probablement pas chez ces éditeurs non plus qu’il va falloir chercher du boulot (après, ça, j’avais fait une croix dessus depuis longtemps). Travailler pour un éditeur ne m’aurait d’ailleurs pas forcément rapporté de quoi vivre. J’ai écrit à ce sujet une section sur la rémunération des auteurs et le coût de la vie. Spécialement pour les râleurs. C’est par ici.

Ma participation à des festivals risque d’ailleurs d’être très compromise. Même s’ils sont souvent organisés, voire financés par des associations de passionnés, les festivals sont montés principalement pour faire gagner de l’argent aux libraires et aux éditeurs, et promouvoir la ville qui les organise. C’est normal, parce qu’organiser un festival, ça coute de l’argent. L’argent, il faut le demander à des investisseurs, et pour investir, il faut avoir un intérêt financier à ce que le festival fonctionne. Et concernant cet intérêt financier, il est préférable pour un petit éditeur que le festival soit financé par la mairie que par des libraires ou des éditeurs… Généralement, les différents acteurs de la chaine du livre ne sont pas particulièrement contents de voir un auteur invité qui ne leur rapporte rien quand tout va bien (si votre livre n’est pas en vente dans la librairie, vous ne servez à rien), et je ne suis souvent invité que pour meubler les festivals, pour la promotion de la ville ou parce que l’association estime que j’y ai ma place (dans la mesure où il reste des places). Et ça, c’est quand tout va bien. Quand tout va mal, et que de nombreux libraires s’apprêtent à fermer boutique, on risque tout simplement de ne pas inviter les types comme moi, qui génèrent un manque à gagner pour les autres intervenants (il m’est arrivé dans certains festivals de vendre plus de livres que des auteurs dont les livres sont disponibles en librairie). Dans cette logique de réduction du manque à gagner qui a toujours fait fureur dans le milieu du commerce, le meilleur moyen de procéder a toujours été d’écraser les plus faibles, donc pour moi aussi, il va y avoir un manque, et c’est pas gagné… Il y aurait d’ailleurs pas mal de choses à dire sur la chaîne du livre en général. Ben pourquoi pas, tiens ? C’est par ici.

En revanche, je vais pouvoir compter sur les ventes des éditions numériques de mes livres, que je vais développer dès que je terminerai de les transférer dans Affinity Publisher. Une pandémie était difficilement prévisible (et puis franchement, si quelqu’un l’avait prévue, et demandé au gouvernement de dépenser des milliards en prévision d’une éventuelle catastrophe, tout le monde l’aurait trainé dans la boue…), mais la crise économique n’était pas inattendue. Depuis environ 4 ans, de nombreux experts la prévoyaient chaque année pour l’année suivante, et le fait que les États aient tout fait pour retarder l’échéance de la crise, pour finir par tous se faire avoir en même temps par le COVID 19 va provoquer un effet d’élastique. Pour prendre l’exemple de la chaîne du livre, tous ses acteurs avaient fini par avoir des intérêts financiers à ce qu’elle soit maintenue sous respiration artificielle alors qu’elle était devenue complètement obsolète. Le livre imprimé ne va pas disparaître, mais les libraires vont prendre le même chemin que les disquaires. C’est triste, mais c’est inévitable. Plus globalement, tous les modèles économiques obsolètes vont disparaître en même temps et très rapidement, au lieu de s’éteindre par étapes. De très nombreux modèles économiques vont muter, et le numérique va prendre une place prépondérante dans tous les secteurs. Allez tiens, puisque je digresse (désolé, ça m’arrive souvent), pourquoi ne pas consacrer une autre section aux prévisions ? Ben, c’est par ici.

Après, je parle des libraires, mais les scénaristes sont appelés à disparaître aussi dans un futur plus éloigné. Les intelligences artificielles vont évoluer et seront un jour capables d’écrire des scénarios à la demande dans une multitude de styles différents. Quand ça arrivera, on essaiera comme d’habitude de maintenir les vieux modèles en place jusqu’à ce qu’une crise vienne remettre les pendules à l’heure, mais on n’aura plus besoin de scénaristes.

Professionnellement, les années à venir risquent donc d’être difficiles sur tous les fronts. Les années. Pas les mois. Vous devez maintenant commencer à comprendre qu’on est obligé de compter en années… Depuis la fin du confinement, toutes les entreprises essaient de repartir de plus belle, fortes de leurs aides d’État et de leurs prêts à taux zéro. Après un premier élan empli de positivisme, tout va ralentir brusquement, les licenciements économiques vont commencer, suivis par les faillites des entreprises les plus faibles, tandis que les entreprises les plus fortes vont se racheter entre elles. À l’heure où j’écris ces lignes, le mois de septembre approche. À la fin du mois d’août, toutes les entreprises qui font le plus gros de leur chiffre d’affaire en été vont faire le bilan. La période des faillites en série est relativement proche.

Même si on trouve un vaccin, la mutation économique énorme qui s’annonce, et qui va nous pousser vers le numérique et le télétravail obligatoires dans tous les secteurs possibles, ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Rien ne nous met à l’abri de l’apparition d’un nouveau virus, et maintenant, on sait ce qu’on risque. On a beau dire que ce n’est pas la petite bête qui va manger la grande, cette petite bête-là aura quand même fait un sacré carton.

Voilà, vous savez tout. Enfin, pour le moment parce que, comme vous l’avez constaté si vous vous connectez régulièrement à cette page, je mets à jour cette bio au fur et à mesure. Il s’agit d’ailleurs un travail en cours, beaucoup de paragraphes sont hors-sujet, certains sont vieux de quelques mois, et je divise chaque page en sections quand elle devient trop dense.

Pour en savoir plus, vous pouvez bien entendu vous procurer mon premier livre, 10 ans de galère ! Et si le livre vous plait, et que vous avez envie d’en connaître la suite, qui s’intitulera sobrement 20 ans de galère, ben c’est ici, et c’est gratuit. Je suis en train d’utiliser cette bio pour écrire de nombreux paragraphes de mes prochains livres. Comme je le disais plus haut, c’est un travail en cours.

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